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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 16:28

Vient le tour de l’inévitable inventaire [à la Prévert] de Jacques Prévert que détaille avec moult intonations appuyées un récitant goguenard, manifestement heureux de s’illustrer dans un numéro sans surprise dont le succès est assuré. De fait, les rires fusent avec une régularité mécanique à chaque articulation du texte ; ils traduisent moins l’amusement de la salle que la fierté qu'elle éprouve à souligner les intentions d’un écrivain non-conformiste dont la compréhension la hisse, pense-t-elle, bien au dessus du bourgeois conservateur qui, lui, serait inapte à en goûter le sel.

Une dame plus très jeune, portant un œillet rouge fiché dans une robe noire, s’avance sur scène telle une cantatrice en fin de carrière. Elle susurre d’une voix faussement juvénile quelques vers qu’on croirait tirés d’un recueil de Marie Noël. C’est Madame Félicie Canossa, lauréate du prix des Poètes du Mirmontois décerné par le commandant Brûlin.

Suit un éphèbe de quinze ans et demi, le jeune espoir de la compagnie, qui parle d’un air boudeur et distille son poème avec des coquetteries de page androgyne.

Une fille d’une vingtaine d’années lui succède ; elle a réussi ce tour de force d’écrire un poème en prose qui, même dépourvu de métrique et de rimes, arrive à rendre un son mirlitonesque ; elle le lit de façon monocorde, comme un enfant qui ne met pas le ton. Excités par son côté gnangnan, les élèves de la classe d’art dramatique du conservatoire qui piaffent de se donner en spectacle, commencent à la chahuter. Elle s’arrête une première fois pour leur faire une remarque sèche – sans grand résultat. La seconde fois, elle leur lance, comiquement irritée, « Riez, riez, vous êtes encore plus bêtes ! », à la plus grande joie de la salle qui, mise en verve par le ridicule du rappel à l’ordre, redouble ses huées.

Un concours dont je n’ai pas retenu le thème donne lieu à une distribution de prix, les dix meilleures poésies étant lues par des élèves de la classe de Monsieur Jouhan, le professeur d’art dramatique du conservatoire de Mirmont. Celle de l’ami de Quentin et Florentin, écrite dans une langue sans accident, courante et limpide, fait partie des pages déclamées.

Nous avons encore droit à une chanteuse qui marmonne « un chant d’amour et de révolte » indique le programme, en grattant quelques accords uniformes sur sa guitare. Nous quittons la salle au bout de cinq minutes, fatigués d’entendre seriner une mélodie mille fois entendue.

Nous passons la fin de la soirée au café Le Français qui fait face au grand théâtre.

Le poète lauréat qu’accompagnent Quentin et Florentin, doit compter dans les dix-huit ans. C’est un garçon légèrement fat – disons précieux –, pas antipathique au demeurant, qui préfère les joies de la prosodie libre aux rigueurs de la versification classique. Il écrit depuis deux ans et deux gros classeurs d’un grand format sont là pour attester la profusion de sa veine lyrique. Au Français, je lis quelques uns de ses poèmes qui traitent tous des relations de l’auteur avec une muse dont il se déclare épris. Si le style en est aisé et disons : harmonique, je bornerai mon jugement à ce seul constat car la prose poétique, rythmée et scandée, n’exerce pas sur moi un grand attrait. Je le félicite néanmoins :

– C’est clair comme une respiration, dis-je.

– Comme un souffle plutôt ! corrige posément le poète. « Dans une respiration il y a comme un effort que je n’aime pas. » ( !!...)

Si je dois l’en croire, il se refuse à lire les grands poètes des écoles passées, de la Pléiade au symbolisme, afin de préserver son inspiration pure de toute influence qui risquerait d’en altérer le jaillissement spontané. Il ne cache pas sa joie car un client du café installé à une table voisine, auquel il avait communiqué ses classeurs et ses feuilles perforées, lui a assuré en les lui rendant, de l’air de quelqu’un qui a pénétré les secrets de la vie et sait de quoi il parle : – Je ne suis pas capable de vous dire si vous êtes doué pour la poésie, mais vous l'êtes pour aimer !

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commentaires

T
Merci pour cette suite, savoureusement instructive et toujours aussi bien narrée !
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  • : Du lycée et d'ailleurs
  • : Les articles de ce blog sont tirés des carnets d’un jeune étudiant ; celui-ci, ancien élève du lycée Boileau de Mirmont, consigna entre 1969 et 1975, pendant la durée de ses études de droit, ses souvenirs scolaires, enrichis d’observations complémentaires sur le milieu universitaire qu’il côtoyait alors. Ces textes ont été corrigés dans la mesure où leur bonne intelligence l’exigeait, et parfois enrichis de précisions relatives à des évènements survenus ultérieurement.
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