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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 17:40

   
 

Représailles

 

 

Hier, les jeunesses communistes révolutionnaires poursuivent une poignée d’extrême-droite dans les couloirs de la Faculté de droit. Au vrai, ils ne font que patrouiller en désordre, au pas de charge et en vociférant, à la recherche des fugitifs qui ont trouvé refuge peu avant dans les pièces de l’étage où se tiennent les bureaux administratifs et la salle des professeurs, et qui demeurent introuvables. Lassés de parcourir vainement les bâtiments en tous sens, ils décident de réclamer l’intervention du doyen qu’ils accusent de protéger les « fascistes ». Ils exigent que ceux-ci leur soient livrés afin de leur régler leur compte.

Le doyen, descendu de son bureau situé à l’étage supérieur, les rejoint au pied de l’escalier devant la cage de l’ascenseur. Il rejette leur demande.

Kellouche, en réponse, affiche une détermination inflexible :

– Camarades, puisque le doyen refuse de faire face à ses responsabilités, à nous de prendre les nôtres. Cette fois-ci nous forcerons les portes et nous finirons bien par les découvrir. Allez les gars, on se scinde en deux groupes et on leur casse la gueule – mais doucement hein ?, pas de violence !

Le doyen paralyse le début de manœuvre en rappelant Kellouche à lui et en le prenant à part.

Le doyen :

– Ho, ho, ho… vous commencez à me les briser ! (Le tumulte s’apaise un peu.) Comment voulez-vous qu’on s’entende si tout le monde parle à la fois… Je veux  parler à Kellouche, j’ai le droit de parler avec Kellouche, non ? Si je lui demande de s’écarter un peu de vous, ce n’est pas que j’aie quelque chose à vous dissimuler, c’est simplement pour vous obliger à vous taire, si vous voulez entendre (rumeur). Je n’ai rien de confidentiel à dire à Kellouche, vous n’avez qu’à faire silence pour vous en rendre compte. Bon, vous, écoutez-moi Kellouche…

Flatté d’avoir été distingué par le doyen comme le chef de la bande, Kellouche se rend rapidement à ses arguments et lance à ses hommes, d’un ton sans réplique :

– Camarades, on va vider la Faculté et se battre sur le campus.

Cris, protestations véhémentes, ricanements sarcastiques même, saluent dans les rangs gauchistes la proposition du meneur.

Un second tribun prend alors le relais et harangue ses troupes :

– Camarades, puisqu’on ne veut pas permettre aux étudiants de régler seuls leurs affaires, que deux équipes contrôlent chacune une des entrées de la Faculté. Si dans un quart d’heure les fascistes sont toujours retranchés dans les locaux des professeurs, nous passerons à l’attaque !

Les militants d’extrême-gauche se mettent en faction ; l’administration évacue précipitamment la bibliothèque dont elle fait fermer les portes par crainte de déprédations possibles.

Le quart d’heure écoulé, les gauchistes refroidis par l’attente, déprimés d’être le centre d’une curiosité indifférente de la part des étudiants en droit et surtout aussi doués pour la lutte armée qu’un quarteron de doctrinaires et de bavards peut l’être, prennent le parti de ficher le camp.

Résolus à abandonner la lutte sur un geste digne, ils lancent au pied du professeur Robert Bouin, décontenancé, une valise volée aux extrême-droite, remplie de casques et de matraques, tandis que l’un d’eux s’écrie solennellement : « Voilà ce que vous défendez ! » Là se borne l’incident intra muros.

Dehors, les gauchistes dégonflent les pneus de quelques voitures dont ils soupçonnent les propriétaires d’appartenir à la F.N.E.F. S’étant aperçus qu’ils ont oublié la valise des fascistes et son précieux contenu à l’intérieur de la Faculté, ils songent à constituer une délégation pour aller la réclamer au doyen en se prévalant de leur droit acquis à un trésor de guerre péniblement arraché à l’ennemi. « Quelle connerie, les mecs d’avoir laissé tout ça là-bas ! Si vous aviez vu le matériel !... » Finalement, fatigués de contester depuis le début de l’après-midi, ils renoncent à leur projet et partent en bande errer sur le campus.

Si Robert Bouin, professeur agrégé de droit public, est ainsi le point de mire des factions révolutionnaires, c’est que de tous ses collègues il est le seul à faire cours en robe et qu’il a en outre participé pendant l’après-midi à la négociation dont Kellouche et le doyen étaient le centre. Il fallait voir Bouin essuyer les insultes et les accusations des deux ou trois gauchistes avec lesquels il tentait de dialoguer sans succès au milieu de l’excitation générale. Ne trouvant à opposer à ses interlocuteurs que des arguments d’ordre étymologique et syntaxique, Bouin fut bientôt débordé et, prompt à s’alarmer, ne tarda pas à proclamer, en guise de concession : « Quant au régime gaulliste, Messieurs, du point de vue juridique, je vous le donne ! » pour conclure : « Nous sommes solidaires ! »

Solidarité qui n’eut pas l’heur de plaire à ses contradicteurs ; ceux-ci, se refusant à pactiser avec les ruines du conservatisme, blâmèrent Bouin, comme s’il en était personnellement l’auteur, d’avoir noyé des « bicots » dans les piscines aux beaux temps de l’O.A.S..

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commentaires

G
Témoignage des plus intéressants. Merci.
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Présentation

  • : Du lycée et d'ailleurs
  • : Les articles de ce blog sont tirés des carnets d’un jeune étudiant ; celui-ci, ancien élève du lycée Boileau de Mirmont, consigna entre 1969 et 1975, pendant la durée de ses études de droit, ses souvenirs scolaires, enrichis d’observations complémentaires sur le milieu universitaire qu’il côtoyait alors. Ces textes ont été corrigés dans la mesure où leur bonne intelligence l’exigeait, et parfois enrichis de précisions relatives à des évènements survenus ultérieurement.
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