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4 décembre 2011 7 04 /12 /décembre /2011 19:36

J’ai fait plus haut une allusion à la distribution des prix de l’année 1967, à propos de la sympathie dont Duroi se prit pour Fontaine sans que ce dernier y fût d'ailleurs pour rien. Si cette cérémonie revêt après coup une importance singulière, c’est qu’elle fut la dernière des distributions de prix du lycée Nicolas Boileau dont les traditions furent dès l’année suivante balayées par l’élan rénovateur de mai.

Il y avait déjà beau temps que les distributions de prix s’étaient dégradées au lycée Boileau. Seuls les élèves qui avaient obtenu le prix de tableau d’honneur ou un premier ou second prix dans une matière quelconque, fût-ce l’éducation physique, y étaient conviés afin qu’il n’y eût pas de risque d’encombrement. Tout le cérémonial qui se bornait du reste à un monologue du censeur ou du proviseur et à la fastidieuse lecture du palmarès se trouvait accompli en l’espace d’une heure à peu près. Nous étions en effet réunis par années d’étude qui se succédaient les unes les autres pour prendre moins de place dans le gymnase ou sous le préau où les contingents des classes d'un même niveau, même réduits par une sélection congrue, n’auraient pu tenir tous additionnés.

Que retirions-nous de ces parades où nous défilions endimanchés pour gagner la chaise inconfortable qui nous attendait, dans un climat de mutuelle satisfaction tout à coup institué entre professeurs et lycéens ? L’ennui, pour ceux des élèves qui s’y trouvaient convoqués sans participer vraiment à la compétition scolaire, la vanité pour ceux qui y brillaient et en retiraient un sentiment d'importance. C’était le coup d’encensoir, fruit et parfois objectif de neuf mois d’effort ; récompense modeste si l’on songe au travail dépensé pour l’obtenir et, dans bien des cas, trophée exagéré en regard de la qualité de ce travail.

Quelques parents venaient assister au triomphe de leur progéniture, dont la satisfaction anticipait sur la réussite à venir des jeunes prodiges et s’exprimait d’une manière souvent plus puérile encore que celle de leurs enfants. Ils y mêlaient des remerciements bruyants à l’adresse des professeurs qui prenaient un air paterne pour répondre qu’ils avaient eu la chance de tomber sur une nature très douée dont les heureuses dispositions leur avaient grandement facilité la tâche. – Tout de même, vous avez su intéresser notre fils et vous l’avez toujours bien suivi !

(Le jour de la distribution des prix est celui où les parents, délivrés pour un temps de la hantise scolaire, sont portés à s’entretenir d’égal à égal avec les professeurs. Mais pour peu que la récolte des prix ou des accessits engrangés par le jeune espoir ait été généreuse, leur assurance passe parfois la mesure et il n’est pas rare que les satisfecit dont ils payent les maîtres soient aussi mortifiants que le certificat de bonne conduite qui échoit au domestique lorsqu’il est congédié. À la rentrée – ouf ! – le professeur est assuré de retrouver tout son prestige.)

Comme les « forts en thème » n’étaient pas légion parmi nous, quoique le lycée Boileau posât à la manufacture d’élèves émérites, les pères et mères venus savourer l’apothéose de leur héritier, ne se comptaient pas par dizaines.

Bien que nous fussions finalement entre nous, l’aspect inhabituel de la fête et les distinctions qu’elle distribuait inégalement, pour la plus grande humiliation des mauvais sujets interdits de réjouissances, donnaient à beaucoup d’entre nous un comportement guindé, presque embarrassé. Les vacances si proches avaient déjà commencé à nous disperser et nous étions surtout désorientés de nous retrouver comme des étrangers dans le « bahut » mort, abandonné aux premières langueurs de l’été, sans avoir le projet d’y travailler ou de nous y dissiper. De chahut il n’était effectivement pas question ce jour là en raison de la solennité qui nous en imposait malgré son indigence, et de la bonhomie pateline des professeurs qui nous retirait tout motif et même toute envie de les contrarier une dernière fois. Nous ne nous reconnaissions plus, habillés pour la circonstance avec plus de recherche que d’habitude… certains même carrément costumés. Dans ce registre, il s’établissait entre nous un classement qui n’avait rien de commun avec celui que la distribution des prix était chargée d’exalter : il lui arrivait même souvent d’infirmer le rang qu’établissait au sein du lycée le degré plus ou moins élevé du  mérite scolaire, ou tout au moins de relativiser la valeur absolue qu’on voulait lui donner à nos yeux.

Je fis cette constatation pour la première fois à la distribution des prix de quatrième. Sans doute, dans les classes précédentes, mon sens critique n’était-il pas encore assez formé pour m’inspirer une telle observation. Je m’aperçus que des disparités tenant au milieu social existaient parmi nous, qui ne dérivaient pas seulement de la condition matérielle de nos parents, que je n’aurais d’ailleurs pas été capable d’évaluer. Je savais que mes camarades et moi étions de milieux divers ; nos parents s’enquéraient sur ce point-là de nos fréquentations scolaires. Mais jamais jusqu'alors je n’avais pris directement conscience des différences qu’allaient produire parmi nous des éducations diverses, ni des marques de distinction ou de vulgarité qui affleuraient dans nos manières d’adolescents. L’enfance a ce privilège, dans sa fraîcheur et sa naïveté, d’habiter un monde presque dénué d’inégalités : la grossièreté d’un entourage commun a eu à peine le temps d’impressionner une nature toute neuve ; le timbre aigu de la voix rend moins perceptibles les intonations incorrectes, et l’effronterie a le charme de l’impertinence. Il n’est pas jusqu’à l’accent faubourien qui ne devienne dans la bouche d'un gamin de Poulbot une sorte de coquetterie de l’esprit. Que l’adolescence intervienne, et la frimousse se métamorphose comme au travers d’une glace déformante ; les traits s’accusent, l’expression s’épaissit, la physionomie qui ne devait sa gentillesse qu’à la fraîcheur du modelé et à l’indétermination des traits, devient tout à coup ordinaire, voire atone. Ce n’est plus dans ce cas le papillon mais la chenille qui sort de la chrysalide.

(à suivre)

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commentaires

M
Comme A.F., j'attends la suite avec impatience.
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A
Excellent article, qui augure d'une suite pour le moins intéressante !
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  • : Du lycée et d'ailleurs
  • : Les articles de ce blog sont tirés des carnets d’un jeune étudiant ; celui-ci, ancien élève du lycée Boileau de Mirmont, consigna entre 1969 et 1975, pendant la durée de ses études de droit, ses souvenirs scolaires, enrichis d’observations complémentaires sur le milieu universitaire qu’il côtoyait alors. Ces textes ont été corrigés dans la mesure où leur bonne intelligence l’exigeait, et parfois enrichis de précisions relatives à des évènements survenus ultérieurement.
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